"Les réformes visent toujours à réduire les dépenses associées aux retraites"Istock
D'une génération à l'autre, les retraités français sont-ils tous logés à la même enseigne ? Non, pas vraiment, affirme l'économiste Alexandre Delaigue. Découvrez donc qui sont les mieux lotis.
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Alexandre Delaigue est professeur agrégé d'économie-gestion à l'économie de Lille 1. Il a aussi enseigné à l'académie militaire de Saint-Cyr Coetquidan et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Sexe, drogue... et économie: Pas de sujet tabou pour les économistes (2013).

Planet : Le gouvernement travaille depuis longtemps à l'élaboration d'une réforme des retraites. Il n'est pas le premier à s'être attardé sur le sujet. A l'approche d'une réforme - telle qu'initialement défendue par Emmanuel Macron ou plus proche d'une transformation paramétrique -, peut-on comprendre l'inquiétude des uns et des autres qui approchent de la cessation d'activité ? Seront-ils aussi bien traités que leurs aînés ?

Alexandre Delaigue : Depuis le report de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, c’est-à-dire il y a 40 ans de cela maintenant, la grande majorité des réformes réalisées par nos gouvernants ont détérioré le régime existant. Certaines, il faut le reconnaître, l’ont fait bien davantage que d’autres. Tout cela a commencé dans les années 1990 et s’est fait de façon quasi-systématique depuis.

Pour l’essentiel, ces réformes de retraites reposaient sur des évolutions paramétriques : certaines ont élevé l’âge de départ légal à la retraite, tandis que d’autres ont préféré augmenter le nombre de trimestres de cotisations requis pour accéder à une pension complète. D’autres, enfin, ont choisi de changer le mode de calcul des retraites, qu’ils ont indexé sur l’inflation plutôt que sur les salaires. 

"Les réformes successives ont permis la détérioration du niveau de vie des retraités"

Dans tous les cas, ces transformations ont préparé le terrain à une dégradation conséquente du niveau de vie de nos retraités.

Dès lors, l’inquiétude de celles et ceux qui s'apprêtent à liquider leurs droits apparaît, assez évidemment d’ailleurs, très compréhensible. D’autant plus qu’il est difficile de passer à côté du discours général tenu par l’exécutif en amont même de sa réforme : tout permet de dire, aujourd’hui, que les retraites coûtent trop cher. Évoquer une "nécessaire réforme" après la crise sanitaire n’est pas anodin ; surtout après avoir insisté sur le prix du "quoi qu’il en coûte" décidé par le président. Au fond, il ne s’agit plus de s’interroger ou de débattre sur la transformation de notre système de retraite, mais bien de trouver comment réduire les coûts sans susciter le rejet de la population...

"Passer par de l'endettement public pour payer les retraites n'est pas absurde, en cas de choc"

Planet : Un nombre conséquent de Français s'inquiètent de leur retraite à venir. D'où vient le sentiment que chaque réforme des retraites va rendre leur situation plus complexe. Est-il justifié ?

Alexandre Delaigue : Rappelons d’abord que les réformes des retraites successivement menées n’ont jamais abouti à une réduction des pensions existantes. Elles ont toujours visé à progressivement détériorer les revenus des retraités à venir ; qui n’avaient pas encore liquidé leurs droits au moment de l’entrée en vigueur du texte. Économiquement, une mesure s’attaquant aux pensionnés contemporains de la réforme est tenable. Politiquement… elle l’est moins. 

En outre, ce choix de s’attaquer aux pensions à venir peut être perçu comme plus logique : à 40 ou 45 ans, il est autrement plus simple de s’adapter qu’à 75 ou 80. Quand on travaille encore, il est possible de se préparer, dans une certaine mesure, d’anticiper et éventuellement d’avoir recours à l’épargne retraite. C’est une solution moins évidente quand la cessation d’activité a déjà eu lieu. 

"A-t-on vraiment besoin de réformer le système aussi souvent que nous l'avons fait ? Pas d'après le COR. Il n'y a pas urgence" - Alexandre Delaigue

Pour autant, tout ceci n’est pas sans soulever un autre type de question, il me semble : a-t-on vraiment besoin de réformer le système aussi souvent que nous l’avons fait ? Est-il encore nécessaire de retoucher aux comptes de l’Assurance vieillesse ? Pas d’après le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui affirmait récemment que les mesures nécessaires à son équilibre avaient déjà été prises au moins jusqu’à l’horizon 2050. Il n’y a à priori pas d’urgence.

Quand bien même il faudrait ajuster à la marge - ce qui est probable puisque nul ne peut dire quel sera l’état de notre économie dans quelques années, ainsi que le reconnaît le COR -, il ne faudra pas perdre de vue que le problème est démographique. Il n’apparaît donc pas absurde de passer par un peu d’endettement public en cas de choc, et de payer les pensions à leur niveau actuel. Si nous n’envisageons pas de le faire aujourd’hui, c’est avant tout parce que la France (comme bon nombre d’institutions nationales) ont la certitude que les retraites sont un problème et qu’il faudrait donc les réduire. Quelque soit les faiblesses d’un pays, le FMI recommande toujours de réformer les retraites… De là, il n’est pas difficile d’y voir un certain dogmatisme idéologique.

"Toutes les réformes des retraites ont été faites avec l'idée de réduction impérative des dépenses"

Planet : Est-il possible, en l'état actuel des ressources de la France et compte tenu des réalités économiques auxquelles la nation est confrontée, de sincèrement promettre une amélioration des conditions de retraite après une réforme à venir ?

Alexandre Delaigue : Très honnêtement, il me paraît difficile de promettre aux futurs retraités une réforme de cet ordre. En revanche, on peut légitimement questionner la nécessité de retravailler encore et toujours notre modèle de solidarité intergénérationnelle. Certaines transformations sont utiles, parfois même nécessaires : les réformes qui rendent lisible ce système le sont. Il en va de même pour celles qui soulèvent la question de l’équité. 

Jusqu’à présent, ce n’est pas celles auxquelles nous avons eu droit.

"Le statut quo actuel pourrait devenir la moins mauvaise des solutions" - Alexandre Delaigue

Toutes les réformes qui sont déjà passées l’ont été avec l’idée de réduction impérative des dépenses, ce qui a mécaniquement empoisonné le débat. L’idée d’une réforme universelle et par point ne pouvait que se heurter à une telle réticence ; dès lors qu’elle, est perçue comme une nouvelle combine pour faire avaler la baisse des niveaux de vie des retraités. Il faudrait, à mon sens, trouver une façon de rendre un peu de sérénité au débat, qui est gangréné par l’idée que nos politiques voudraient soit démanteler le système de retraites publiques au profit du privé, soit réduire le niveau des pensions. Au final, le statut quo actuel, accompagné de quelques ajustements à la marge, pourrait devenir la moins mauvaise des solutions.